Interview

Nathalie Seiler-Hayez

Rencontre avec une figure emblématique de l’hôtellerie de luxe. De son premier souvenir émerveillé au Carlyle à New York à la tête de Swiss Deluxe Hotels, Nathalie Seiler-Hayez incarne une vision rare : celle d’un luxe profondément humain, ancré dans l’émotion, l’excellence et la stratégie.

Leader inspirante, femme de conviction et professionnelle d’exception, elle partage avec nous un parcours jalonné de défis, de transitions audacieuses et de réflexions percutantes sur l’avenir de l’hospitalité haut de gamme.

Un échange sans filtre avec une dirigeante qui bouscule les standards avec humilité, ambition et clarté de vision.

Votre parcours est exceptionnel, jalonné de postes prestigieux à l’international. Qu’est-ce qui vous a donné envie, au départ, de vous engager dans le secteur de l’hôtellerie de luxe ?

« En 1950, mon père a fondé le Hotel & Travel Index, qui est rapidement devenu une référence internationale pour les hôtels. J’ai grandi dans cet univers, baignée dans les récits de voyages et d’expériences hôtelières. Je me souviens avec émotion de notre premier séjour en famille à New York, au Carlyle : le service y était exceptionnel, l’atmosphère unique, et j’ai compris à quel point un hôtel pouvait être un sanctuaire. Plus tard, j’ai eu ma première chambre en solo au The Dolder Grand à Zurich. Je m’y suis sentie comme une princesse. Ce sont des souvenirs puissants, fondés sur l’émotion et le sens du détail, qui ont forgé mon envie de rejoindre ce monde d’exception. »

Y a-t-il eu une personne ou une expérience marquante qui a particulièrement influencé votre trajectoire professionnelle ?

« J’ai eu la chance, tout au long de mon parcours, de croiser des personnes inspirantes qui ont cru en moi et m’ont soutenue. Leurs conseils, leur écoute et leur exigence bienveillante ont été déterminants. Ce sont souvent les rencontres humaines qui donnent du sens à une carrière. »

Après avoir dirigé des établissements iconiques comme le Connaught à Londres ou le Beau-Rivage Palace à Lausanne, quel a été le plus grand tournant dans votre carrière ?

« Chaque étape a été marquée par de formidables défis et de belles réussites. J’ai commencé dans les domaines du marketing et du commercial, avant de passer à l’opérationnel, ce qui m’a permis d’acquérir une réelle compréhension des besoins des clients et de développer une vision stratégique. Un tournant marquant a été ma prise de fonction au The Connaught, après avoir dirigé l’InterContinental Bordeaux – Le Grand Hotel.

Passer d’une ville secondaire à une capitale européenne, et prendre les rênes d’un établissement aussi emblématique qui venait d’être entièrement rénové, avec une clientèle internationale tellement qualitative, a été une expérience inoubliable qui m’a permis de vraiment comprendre ce qu’était le vrai luxe. »

Vous avez rejoint Swiss Deluxe Hotels en 2023 en tant que Managing Director. Qu’est-ce qui vous a motivée à prendre la tête de cette organisation après des années à la direction opérationnelle d’hôtels de prestige ?

« Après de nombreuses années sur le terrain, je ressentais le besoin de prendre du recul, de quitter l’opérationnel tout en restant au cœur de l’hôtellerie de luxe. Swiss Deluxe Hotels représentait exactement ce que je recherchais : une organisation d’exception, rassemblant les plus beaux établissements du pays, et me permettant de mettre à profit mon expérience au service d’une vision plus globale. »

Quelle est votre feuille de route pour les prochaines années ? Quels objectifs prioritaires vous êtes-vous fixés ?

« Ma priorité est de préserver l’excellence de nos établissements, tant dans l’offre produit que dans la qualité de service. Mais au-delà de cela, je souhaite renforcer la communauté que nous formons : favoriser les échanges, encourager l’inspiration mutuelle, créer une dynamique d’amicale autour de thématiques fortes.

Nous faisons face à de nombreux défis, mais celui qui me semble le plus préoccupant est le manque d’attractivité de nos métiers. Nous sommes confrontés à une véritable crise de qualité dans les ressources humaines. La pandémie n’a fait qu’accentuer ce phénomène. Il est donc impératif de repenser nos modèles RH, souvent trop rigides ou bureaucratiques, pour redonner envie et sens à ces professions.

Par ailleurs, la durabilité, l’innovation et les nouvelles technologies sont au cœur de nos réflexions. Les hôtels de luxe doivent rester à l’écoute des grandes tendances mondiales, que ce soit en matière de design, de gastronomie ou de services, afin de rester pertinents et de répondre aux attentes évolutives de leur clientèle. Pour cela, il est essentiel de savoir prendre du recul et de cultiver une vision prospective. »

Quelle est votre vision du leadership dans l’hospitalité aujourd’hui ? A-t-elle évolué au fil des années ?

« Le rôle d’un leader a considérablement évolué..

Aujourd’hui, selon moi, un bon leader doit avant tout inspirer, donner du sens et rassembler autour d’une vision commune. Il fixe un cadre clair, incarne l’excellence et agit avec humilité, tout en valorisant l’écoute et la confiance. Je me suis toujours efforcée de construire des équipes solides et harmonieuses, où chacun se sent engagé et reconnu. Je crois profondément que l’excellence naît de la cohésion humaine et de la clarté des objectifs.

Il s’agit de créer les conditions favorables à une culture de service irréprochable, portée par des talents qui s’épanouissent dans un environnement exigeant, multiculturel et inspirant. Il est aussi important de savoir montrer sa vulnérabilité… »

Selon vous, quelles qualités sont essentielles pour diriger avec succès un hôtel de luxe en 2025 ?

« En 2025, diriger un hôtel de luxe demande bien plus que des compétences opérationnelles : cela exige une vision humaine, stratégique et résolument tournée vers l’avenir. Pour moi, les qualités essentielles sont d’abord l’inspiration et la capacité à fédérer autour d’une vision claire et partagée. Un bon leader doit incarner l’excellence, tout en étant à l’écoute, humble et agile, dans un environnement en constante évolution.

L’intelligence émotionnelle est primordiale pour comprendre les attentes des clients comme celles des équipes, tout comme la sensibilité culturelle, indispensable dans un secteur profondément international. Il faut aussi savoir construire des équipes solides et harmonieuses, encourager l’initiative, et créer les conditions de l’épanouissement de chacun.

Enfin, la maîtrise de la technologie, le respect des enjeux durables et la capacité à innover sans trahir l’ADN du luxe sont des qualités déterminantes pour rester pertinent et compétitif. »

En tant que femme leader dans une industrie encore marquée par certaines disparités, quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui aspirent à des postes de direction dans l’hôtellerie ?

« C’est un métier passionnant où la dimension émotionnelle est importante, car nous sommes, au fond, des marchands de bonheur. Il y a donc vraiment de la place pour les femmes. Osez vous exprimer, affirmez votre vision, et ne laissez personne vous faire douter de votre légitimité. La clé est de rester fidèle à vos valeurs tout en cultivant votre expertise.

Entourez-vous de personnes qui vous élèvent, apprenez à dire non sans culpabilité, et ne craignez pas de prendre votre place à la table des décisions. Le leadership féminin apporte une richesse précieuse à notre industrie : sensibilité, écoute, intuition, mais aussi force, ambition et clarté. Le secteur a besoin de vous »

Vous êtes aussi engagée à travers différents conseils d'administration (SGH, Vaud Promotion, Beaulieu SA). Comment votre rôle dans ces instances influence-t-il votre vision du secteur ?

« Ces engagements me permettent de développer une vision plus transversale du secteur touristique. Ils nourrissent ma réflexion stratégique et me donnent une compréhension plus fine des enjeux régionaux et nationaux, tout en me connectant à d’autres industries. »

Quels sont, selon vous, les plus grands défis auxquels l’hôtellerie de luxe devra faire face dans les cinq prochaines années ?

« Le premier est l’attraction et la fidélisation des talents, dans un contexte où les jeunes générations cherchent du sens, de la reconnaissance et un meilleur équilibre de vie. Il faudra repenser nos modèles managériaux pour répondre à ces attentes sans compromettre l’excellence du service.

Le deuxième grand défi est l’intégration intelligente de la technologie, notamment l’IA et la digitalisation, tout en préservant l’authenticité et la dimension humaine de l’expérience client. Le luxe repose sur l’émotion, le lien, le sur-mesure, des éléments qu’aucune machine ne peut remplacer.

Enfin, la durabilité devient incontournable. Les voyageurs de demain attendent des engagements concrets, transparents et mesurables. Il ne s’agit plus simplement de « verdir » notre image, mais de transformer en profondeur nos pratiques : gestion des ressources, circuits courts, inclusion sociale, impact local… Ces défis sont exigeants, mais ils représentent aussi une formidable opportunité de réinventer notre secteur avec sens, responsabilité et créativité. »

Quelles sont les plus grandes leçons que vous avez apprises au cours de votre parcours et que vous aimeriez transmettre à la nouvelle génération de professionnels de l’hospitalité ?

« Travailler avec passion. C’est une industrie exigeante, mais profondément humaine. Quand on agit avec sincérité, enthousiasme et engagement, les résultats suivent. Il faut aussi rester curieux et ouvert, apprendre chaque jour, écouter, et ne jamais perdre de vue l’importance du détail. Dans un secteur en constante évolution, il est crucial d’accueillir le changement avec agilité, tout en restant fidèle à ses valeurs. Enfin, l’humilité est indispensable car on peut vite perdre pied. »

Si vous pouviez remonter le temps et donner un conseil à la jeune Nathalie Seiler-Hayez en début de carrière, que lui diriez-vous ?

« Aie confiance en toi. L’authenticité et la conviction sont des forces. N’aie pas peur de sortir des sentiers battus, de prendre des risques et de suivre ton instinct. »

Un immense merci à Nathalie Seiler-Hayez pour cet échange riche et sincère. Son parcours remarquable et sa vision humaniste du leadership résonnent profondément avec les valeurs que nous portons à l’École Hôtelière de Genève.

Nous sommes honorés de la compter parmi les marraines de promotion de notre établissement. Son engagement et son exemplarité constituent une source d’inspiration précieuse pour nos étudiantes et étudiants, aujourd’hui et pour les générations à venir.

Merci, Nathalie, de faire rayonner l’hospitalité avec autant de passion et de sens !

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