Interview
Nicolas Gruber
Dans cette interview, Nicolas partage son parcours inspirant, de ses premiers pas dans l’hospitalité à la création d’une marque culinaire qui séduit déjà les professionnels comme les amateurs de gastronomie. Il raconte les défis techniques, l’importance de bien s’entourer, et surtout, la force d’oser se lancer quand l’envie d’entreprendre devient trop forte.
Comment passe-t-on d’un souvenir gustatif partagé en famille à une marque gastronomique haut de gamme ?
C’est exactement ce que vit Nicolas Gruber, diplômé de l’École Hôtelière de Genève, aujourd’hui Hospitality Project Coordinator chez Geneva Tourism & Conventions Foundation et co-fondateur de Beurre Georges .
Tout est parti d’une recette transmise par son grand-père dans les années 50, devenue au fil du temps bien plus qu’un souvenir familial : un véritable projet. Avec passion et persévérance, Nicolas et son frère Raphael Gruber ont réinventé ce beurre emblématique pour en faire un produit artisanal premium, alliant authenticité, savoir-faire et innovation.
Peux‑tu nous présenter brièvement ton parcours depuis ton diplôme à l’École Hôtelière de Genève jusqu’à aujourd’hui ?
À l’époque où j’ai décidé de rejoindre l’École Hôtelière de Genève, j’étais à un moment de ma vie où j’avais besoin de concret. Je ne me considérais pas comme quelqu’un de très académique, et je ressentais l’envie d’apprendre autrement à travers l’action, le terrain, le contact humain, et non uniquement par la théorie.
Un stage au Hôtel Beau-Rivage Genève, en banquets, a vraiment été révélateur pour moi. Malgré les longues heures, cette expérience m’a passionné. Elle a confirmé mon intérêt pour le secteur et surtout consolidé mon envie de rejoindre l’ÉHG. Ce qui m’a particulièrement séduit dans la formation, c’est son format alterné : six mois d’école, suivis de six mois de stage, chaque année. Ce rythme me convenait parfaitement. Il permet d’intégrer les bases théoriques sans surcharge, tout en les appliquant immédiatement sur le terrain. C’est un équilibre extrêmement formateur.
Ce que j’ai trouvé précieux dans ce cursus, c’est sa capacité à nous préparer à plusieurs voies possibles : que ce soit entrer dans le monde professionnel avec des compétences solides ou envisager de lancer son propre projet. Les cours comme la gestion d’entreprise, la gestion de la restauration, ou encore l’hygiène alimentaire sont essentiels, et ils nous donnent des outils concrets pour avancer.
Bien sûr, l’entrepreneuriat demande aussi d’apprendre par soi-même, notamment tout ce qui touche à l’environnement externe à l’entreprise : les démarches auprès des institutions, les financements, les fondations, etc. Ce sont des compétences que l’on développe sur le terrain. Mais à l’issue de la formation, on a déjà toutes les cartes en main pour se lancer, que ce soit dans un emploi ou dans un projet personnel. Et surtout, on sort de l’école avec une vraie expérience professionnelle, ce qui fait toute la différence.
Quelles expériences professionnelles as‑tu accumulées après ton diplôme ?
Après l’obtention de mon diplôme à l’EHG, j’ai eu la chance d’accumuler des expériences très variées, à la fois sur le terrain et en gestion de projets. Mon parcours a débuté dans l’opérationnel notamment chez PRETTY PATTY, ce qui a été extrêmement formateur. Travailler au quotidien dans un établissement jeune m’a permis d’observer et de gérer les défis concrets et récurrents auxquels on peut être confronté : problèmes de service, organisation en cuisine, coordination d’équipes.
Ce type d’environnement m’a appris à prendre du recul, à analyser les situations avec objectivité et à mettre en place des processus d’amélioration continue. Se poser les bonnes questions — Pourquoi ce service s’est-il mal passé ? Est-ce un problème isolé ou récurrent ? Quelle action mettre en place pour optimiser notre fonctionnement ? — m’a permis de développer une approche plus stratégique et proactive.
Par la suite, j’ai élargi mon champ d’action vers la coordination d’événements, notamment au sein de Watches and Wonders Geneva Foundation, un salon de référence dans l’horlogerie de luxe. Là, j’ai eu l’opportunité de travailler avec des marques prestigieuses et de coordonner les partenaires externes. Cette expérience m’a permis de développer mes compétences en gestion de projet, en organisation d’événements à grande échelle, mais aussi en communication.
Dans ce type de mission, il est essentiel de savoir structurer l’information, la faire circuler de manière fluide, qu’il s’agisse de communication verticale avec les responsables ou horizontale entre les différents intervenants. C’est un travail d’équilibriste, mais extrêmement enrichissant.
Ces expériences combinées, terrain et coordination m’ont permis d’acquérir une vision globale, à la fois opérationnelle et stratégique, des métiers de l’hospitalité et de l’événementiel.
Comment l’idée de commercialiser la recette de ton grand‑père, élaborée dans les années 50, est‑elle née ?
L’idée de lancer Beurre Georges a toujours été là, quelque part en nous. Depuis notre enfance, cette recette élaborée par notre grand-père dans les années 1950 a toujours fait partie de notre quotidien. On a grandi avec ce beurre sur la table, lors de repas de famille, de moments conviviaux, et il a toujours suscité l’enthousiasme de nos proches, amis comme voisins. À chaque dégustation, les retours étaient unanimes : “Mais pourquoi vous ne le commercialisez pas ?”
Cette petite graine d’idée a donc toujours été présente. Mais jusqu’ici, personne dans la famille n’était vraiment en position de la faire germer. Mon père, mon oncle, tous deux très engagés dans leurs carrières respectives n’avaient ni le temps ni l’énergie pour se lancer dans une nouvelle aventure. C’est donc naturellement que Raphaël et moi avons décidé de reprendre le flambeau, portés par notre fibre entrepreneuriale et notre attachement à cette histoire familiale.
La conjoncture a aussi joué en notre faveur : nous avions le bon timing, l’envie, et surtout les compétences pour structurer un vrai projet. Après 6 à 8 mois de travail sur le business plan, la stratégie, et les aspects logistiques, nous avons lancé Beurre Georges à la mi-juin. C’est encore tout frais, mais les premiers retours du marché sont extrêmement positifs, ce qui est très encourageant.
Aujourd’hui, nous sommes présents dans plusieurs points de vente et nous espérons continuer à développer la gamme de produits. Le storytelling autour de notre histoire familiale joue clairement un rôle important : c’est une histoire authentique, intergénérationnelle, et pleine de saveurs. Raphaël fait un travail formidable pour la transmettre sur le terrain, notamment dans les boucheries où nous sommes distribués. Les professionnels adorent, et trouvent l’histoire facile à raconter ce qui rend notre produit encore plus attractif.
Notre objectif à présent, c’est que les gens s’habituent à voir Beurre Georges dans leur assiette. Nous savons que ça prendra un peu de temps, mais nous sommes confiants : l’histoire plaît, le goût est au rendez-vous, et l’aventure ne fait que commencer.
Aujourd’hui, avec Raphaël, on est très fiers de ce que nous avons réussi à créer : un produit fidèle à son héritage, modernisé avec soin, et accueilli chaleureusement par le marché.
Quels ont été les principaux défis techniques (formulation, conservation, production artisanale…) à relever pour ressusciter cette recette familiale à l’ère actuelle ?
L’un des plus grands défis, au départ, a été de retrouver la recette originale de notre grand-père. Il ne l’avait jamais vraiment formalisée : rien n’était écrit, tout était fait à l’instinct, avec ce petit supplément d’âme qu’on retrouve dans les recettes de famille. On avait grandi avec ce goût en mémoire, mais il a fallu le redécouvrir, le décrypter, le reconstituer.
C’est un vrai travail de mémoire sensorielle : on se souvenait du goût, de la texture, des sensations… mais pas des proportions exactes. Et puis, notre grand-père avait cette habitude d’ajouter toujours une petite touche personnelle, un ingrédient ou un geste inattendu, qui rendait le tout magique. Il a donc fallu faire de nombreux essais, tester différents équilibres d’ingrédients, ajuster les dosages — et tout cela en gardant une cohérence économique avec le food cost, afin que le produit puisse être commercialisable à moyenne échelle.
Un autre défi majeur était de trouver le bon équilibre entre artisanat et production, car nous avions une vision claire du positionnement premium que nous voulions pour Beurre Georges. Il fallait que le produit reste fidèle à son héritage, tout en répondant aux exigences du marché actuel, notamment en matière de conservation, de qualité constante, et de distribution. Cette réflexion nous a permis de construire une véritable ligne directrice pour la marque, à la fois sur le plan gustatif et stratégique.
La phase de formulation a duré environ 5 à 6 mois, ponctuée de nombreux « batchs » test. À chaque fois, on faisait goûter à notre entourage, mais surtout à notre grand-mère, qui jouait un peu le rôle de juge suprême. Il lui arrivait souvent de dire « non, ce n’est pas encore ça », alors on repartait de zéro. Ces moments ont eu quelque chose de très fort émotionnellement. Ils nous ont rapprochés en famille, ils ont ravivé des souvenirs, recréé du lien autour d’une passion commune.
Je me souviens, je le refaisais à la maison, je goûtais, et je me demandais si c’était vraiment ce goût, celui que j’avais connu avec mon grand-père. Et peu à peu, on s’en est approché… jusqu’à ce que la recette soit enfin validée à l’unanimité par toute la famille.
Aujourd’hui, avec Raphaël, on est très fiers de ce que nous avons réussi à créer : un produit fidèle à son héritage, modernisé avec soin, et accueilli chaleureusement par le marché. Et accessoirement… nos amis n’en pouvaient plus du nombre de repas test mais ils en ont bien profité aussi !

Comment l’équilibre entre tradition (recette originale) et innovation (techniques modernes, packagings, etc.) a‑t‑il été géré ?
Pour nous, l’un des grands enjeux du projet Beurre Georges a été de trouver le juste équilibre entre l’héritage familial et une approche résolument moderne. On ne voulait surtout pas trahir la tradition, la recette de notre grand-père est au cœur du projet mais il fallait aussi que le produit soit en phase avec les attentes d’aujourd’hui, en termes d’usage, de packaging et de positionnement sur le marché.
D’un point de vue très concret, on avait déjà une certaine idée du contenant. On avait grandi avec ce beurre dans notre frigo, on connaissait les contraintes du pot d’origine, un peu trop haut, dans lequel il était difficile d’aller chercher les dernières cuillerées au fond. Alors dès le départ, on a voulu concevoir un pot plus large que haut, pensé pour la praticité au quotidien. On a même imaginé un design qui évoque les boîtes de caviar, pour refléter ce côté premium et artisanal que nous souhaitions transmettre.
Côté branding, Raphaël et moi avons pris le temps de trouver une esthétique qui nous corresponde à tous les deux. Après quelques débats, on s’est accordés sur une identité épurée, élégante, centrée sur l’essentiel : le goût, l’authenticité, et l’origine suisse du produit. Nous voulions aussi revaloriser le beurre suisse, souvent éclipsé par ses équivalents étrangers, alors qu’il fait partie intégrante de notre culture culinaire locale.
Les couleurs choisies, blanc cassé et rouge sont un clin d’œil évident à la Suisse, mais aussi à l’univers de l’artisanat et de la tradition. Ce choix s’inscrit dans notre volonté de raconter une histoire vraie, ancrée dans un territoire, mais racontée avec des codes actuels.
Enfin, nous avons pensé le packaging avec une logique d’évolution. L’étiquette supérieure indique « Beurre Georges » et en dessous figure la mention « l’Original », en hommage à notre grand-père. Cette structuration nous permettra plus tard de développer d’autres recettes ou gammes en gardant une cohérence visuelle tout en introduisant de nouvelles variations.
En somme, chaque détail a été réfléchi pour conjuguer le respect d’un savoir-faire familial et l’exigence d’un produit contemporain. C’est cette dualité qui fait, selon nous, la singularité et la force de Beurre Georges.
En quoi ta formation à l’École Hôtelière de Genève a‑t‑elle été un atout dans le lancement de ce projet entrepreneurial ?
Ma formation à l’École Hôtelière de Genève a été un véritable tremplin dans le lancement de Beurre Georges. Ce que j’en retiens avant tout, c’est la vision à 360 degrés de la restauration que l’école nous apporte. On ne se contente pas d’apprendre à gérer un service ou à cuisiner : on touche à toutes les facettes du métier, de la gestion d’entreprise à l’hygiène, en passant par la maîtrise du food cost, le choix des fournisseurs, ou encore la logistique.
Ces compétences transversales ont été essentielles dans la mise en place de notre projet. Parce qu’au-delà de la recette elle-même, créer une marque alimentaire, c’est savoir naviguer entre qualité produit, rentabilité, réglementation, positionnement de marché, et bien plus encore. Grâce à la formation, j’avais déjà les bons outils et les bons réflexes pour structurer notre démarche.
Les stages pratiques que j’ai effectués durant mes études ont aussi énormément compté. Ils m’ont permis d’être confronté à des réalités de terrain, d’observer des modèles d’organisation très différents, et surtout de me constituer une base solide d’expériences. Une fois le projet Beurre Georges lancé, je n’étais pas en terrain inconnu : j’avais déjà expérimenté, testé, et compris comment fonctionne chaque maillon de la chaîne.
Enfin, je dirais que l’École Hôtelière de Genève m’a permis de prendre conscience de l’interconnexion entre les métiers : tout est lié. Et cette capacité à avoir une vision globale, tout en étant capable de plonger dans les détails quand il le faut, est selon moi un atout précieux pour tout entrepreneur.
Au-delà d’un simple condiment, nous voyons le Beurre Georges comme un symbole de l’art de la table.
Comment décrirais‑tu le positionnement du Beurre Georges sur le marché genevois et plus largement ?
Le Beurre Georges se positionne résolument comme un produit premium, né d’un savoir-faire familial transmis depuis plus de 70 ans. C’est l’héritage de mon grand-père que nous faisons perdurer : un artisanat authentique, fondé sur la qualité, la rigueur et le goût juste. Notre ambition est de remettre ce savoir-faire au goût du jour, en l’adaptant aux attentes gastronomiques contemporaines tout en conservant son âme d’origine.
Au-delà d’un simple condiment, nous voyons le Beurre Georges comme un symbole de l’art de la table. Il incarne cette exigence que nous avons toujours eue à la maison : celle de prendre le temps de bien faire les choses, de soigner chaque geste, chaque détail. Cuisiner, pour nous, c’est presque un rituel – un moment de partage, de précision et de plaisir.
C’est cet esprit que nous voulons transmettre à travers le Beurre Georges : un produit d’exception, élaboré avec passion, qui invite à savourer, à célébrer le goût et à valoriser la qualité. Dans le paysage genevois comme au-delà, notre positionnement repose sur cette alliance entre tradition et modernité, authenticité et raffinement.

Quels types de points de vente ou partenaires avez‑vous ciblés pour la commercialisation ?
Pour la commercialisation du Beurre Georges, notre objectif a toujours été de nous entourer de partenaires qui partagent nos valeurs et notre exigence de qualité. Nous avons fait le choix de collaborer avec des points de vente et des artisans capables de sublimer notre produit, plutôt que de nous disperser dans un réseau trop large ou déconnecté de notre identité.
Aujourd’hui, nous travaillons principalement avec des bouchers, car historiquement, le Beurre Georges s’apprécie particulièrement avec des viandes nobles, une belle côte de bœuf ou un rumsteck, par exemple. C’est dans cet univers que notre beurre a trouvé naturellement sa place.
Nous collaborons également avec Planète Caviar, un partenaire prestigieux qui nous permet d’explorer un autre registre gustatif, celui des produits de la mer. Le Beurre Georges se marie en effet à merveille avec un saumon ou même sur des blinis – une association que nous avons testée et qui fonctionne à merveille.
À moyen terme, nous souhaitons élargir nos collaborations vers des épiceries fines, des fromageries et des restaurants qui partagent notre passion et notre attachement au produit. L’idée est de travailler main dans la main avec des professionnels capables de mettre en avant le Beurre Georges avec authenticité et créativité.
Notre ambition est simple : proposer un produit noble et versatile, que chacun puisse s’approprier à sa manière. Le Beurre Georges n’appartient pas seulement à ceux qui le fabriquent, mais à ceux qui le font vivre dans leur cuisine, selon leurs envies.
Quelles sont tes aspirations pour la suite ?
C’est une question à la fois simple et complexe… mais ce qui est sûr, c’est que pour la suite, je souhaite continuer à évoluer au sein d’une entreprise, notamment dans le cadre de ma formation actuelle avec Genève Tourisme. Pour moi, c’est essentiel de prendre le temps de se former dans un environnement structuré, d’observer et de comprendre le fonctionnement des organisations, avant de vouloir tout de suite se lancer à son compte.
En entrepreneuriat, il est parfois tentant de vouloir aller vite. Mais il faut savoir prendre le temps d’apprendre, de se confronter à la réalité du terrain, de comprendre les mécanismes internes d’une entreprise. Sans cette phase d’apprentissage, on risque de se brûler les ailes. J’ai cette conviction qu’un bon entrepreneur, c’est aussi quelqu’un qui a su s’imprégner des bonnes pratiques en entreprise avant de voler de ses propres ailes.
À moyen terme, mon objectif est de développer pleinement Beurre Georges, un projet qui me tient particulièrement à cœur. L’idée est de pouvoir, progressivement, déléguer certaines tâches opérationnelles, notamment en production, pour me concentrer davantage sur la stratégie, la croissance et l’identité de la marque. J’aimerais la voir grandir, s’ancrer dans le paysage, et pouvoir un jour m’y consacrer pleinement.
Donc si je devais résumer mes aspirations : continuer à apprendre, grandir professionnellement, et un jour, faire de Beurre Georges un projet à part entière, qui rayonne autant par ses valeurs que par sa qualité.
Un grand merci à Nicolas Gruber pour ce témoignage inspirant et authentique. Son parcours illustre à quel point passion, persévérance et créativité peuvent transformer une simple idée en une belle aventure entrepreneuriale.
Avec Beurre-Georges, Nicolas fait revivre une histoire de famille tout en lui donnant une touche moderne et audacieuse, un bel exemple de ce que l’esprit entrepreneurial de nos diplômés peut accomplir.
Bravo pour ton engagement et ta créativité, nous te souhaitons plein succès pour la suite de cette belle aventure !